jeudi, septembre 15, 2011

Surprise- Simone Arese http://simarese.pagesperso-orange.fr/

"Labyrinthes" Nous avions peu de chances de nous rencontrer, toi, à demi-polonaise, à demi-allemande, juive, née dans une prison du nord de l’Europe, durant cette effrayante période de l’ascension d’Hitler, et moi, née en France, après la guerre, au cœur d’un village normand, dans le parfum sucré des gâteaux, ayant père et mère bien présents pour me protéger.Le chemin fut long car nous ne nous sommes connues que sur l’autre versant de notre âge : celui qui redescend vers les ténèbres. Mais dans le plaisir du jeu, les lumières du cinéma.Et pourtant…Il y eut des clins d’œil du Hasard (assez généreux pour mériter une majuscule) sur cette route menant de l’une à l’autre…J’étais encore une petite fille, sagement assise entre ses parents, quand je te vis sur la scène du Mogador, dans Violettes Impériales. Avant cette représentation nous avions probablement déposé nos bagages à l’hôtel Voltaire (où officiait un garçon d’étage en gilet à rayures noir et jaune), puis dîné à La Maxeville, où je préférais les tables de la mezzanine, pour la vue plongeante sur les convives du rez-de-chaussée. Au théâtre, je dus avoir le programme entre les mains pendant ces minutes fiévreuses où le public s’installait, où un frémissement du rideau signalait le passage de quelque comédien, éclairagiste, pompier de service. J’ai toujours aimé ce moment d’attente, et aucune musique ne me paraît plus belle que la délicieuse cacophonie des musiciens accordant leurs instruments.Bien sûr, je t’ai vue sans te voir vraiment car tu n’étais pas la vedette. Et ce dont je me souviens précisément c’est ce rideau s’ouvrant (pour quel acte ?) sur le tableau vivant de Winterhalter : L’Impératrice Eugénie et ses dames d’honneur. Le public applaudit vigoureusement, et mon père, dont l’enthousiasme n’était jamais bridé, cria peut-être « bravo ! ». C’est que nous avions tous trois parfaitement reconnu l’œuvre, car elle figurait en bonne place dans notre pâtisserie, sur une grosse boîte de bonbons Coq blanc. Une boîte métallique que je possède toujours, et qui dut bien contenir dix kilos de bonbons. Elle a perdu son parfum sucré, mais c’est une boîte-mémoire car j’y ai couché des souvenirs de mes parents. Je suis très attachée aux objets, non pour leur valeur marchande, mais pour toutes les histoires qu’ils racontent. Les vendre ou les donner, c’est détruire ces histoires. Les objets qui changent de mains deviennent muets.Je viens de retourner vers cette boîte, je l’ai mesurée (37/31/17) et surtout, je l’ai ouverte, car je me souvenais qu’à l’intérieur du couvercle les noms des belles dames du tableau étaient inscrits. Quelle surprise : l’une d’elle (au centre) est la comtesse de … Montebello ! J’en ai poussé un petit cri joyeux, car ce nom nous est familier, la villa Montebello de Trouville étant un peu nôtre depuis que nous y avons tourné des kinos !Un fantôme de Violettes impériales était donc présent dans ce lieu ? Un fantôme taquin sans doute, qui aura volé le pantalon que Marc n’a pas retrouvé après avoir quitté sa tenue de Tarzan !Mais était-ce la comédienne incarnant cette comtesse sur la scène de Mogador, ou la comtesse elle-même ?J’incline pour le modèle, n’ayant nul renseignement sur l’interprète. La comtesse était née Adrienne Villeneuve-Bargemont, en 1826 ; elle épousa Olivier de Lannes Montebello, 4° fils d’un maréchal d’Empire. La villa portant leur nom fut construite en 1865 par l’architecte Jean-Louis Celinsky. C’est assez de dates…Toutes les dames d’honneur de l’impératrice sont mortes avant leur souveraine déchue.Elle aussi m’était familière dans mon enfance, car la route de son exil passa par mon village natal, et en souvenir une villa porta son prénom, gravé dans la pierre au-dessus de la porte. Elle avait fui l’insurrection des Parisiens, par une porte dérobée des Tuileries, avec sa lectrice, à pied, puis en fiacre jusqu’à la demeure du docteur Evans, dentiste de la cour, qui les embarqua dans sa calèche, en direction de la Normandie. Calèche abandonnée à Pacy-sur-Eure, remplacée par une mauvaise voiture de louage, dont une roue se rompit près d’Ecardenville. Une vieille dame assurait encore, il y a quelques années, que son aïeule avait vu l’impératrice, accueillie dans la ferme de ses parents pendant qu’on réparait le véhicule. Le trio de fuyards reprit la route, traversant mon village, pour s’en aller dormir à moins de dix kilomètres, au relais de poste de La Rivière Thibouville. Au matin on abandonne encore la véhicule de louage, pour continuer en train jusqu’à Lisieux puis Deauville (où séjournait l’épouse du dentiste). Le dentiste américain déniche un lord anglais, qui accepte de prendre les fuyards à bord de son yacht La gazelle pour les emmener en Angleterre. Une tempête s’en mêle. On accoste enfin à l’île de Whigt.J’ai envie de dire : Rideau ! Rideau sur l’impératrice, qui donna son titre à un dessert : le Riz à l’Impératrice, que mon père aimait particulièrement. Beaucoup de gâteaux furent d’ailleurs inventés pendant ce 19° siècle, portant souvent des noms d’opéras (tel le Salambô) ou de compositeurs. Et le petit four nommé Biarritz est encore un hommage à l’impératrice Eugénie, qui mit cette station balnéaire à la mode.A propos : l’exposition estivale de la villa Montebello est consacrée aux élégances passées des bains de mer. Je n’ai pas eu le temps de la voir, entre tous nos kinos…Il faudra que je retourne à Trouville…Je t’apporterai un bouquet de violettes et nous mangerons du Riz à l’Impératrice.Peut-être évoquerons-nous aussi une autre dame d’honneur présente sur le tableau de Winterhalter : la baronne d’Aiguives de Malaret, née Nathalie de … Ségur. Mais oui : c’était la fille de la conteuse d’histoires, ma parente en quelque sorte ! La comtesse de Ségur, née Rostopchine, dont le père mit le feu à Moscou, pour empêcher Napoléon (n°1) de s’en emparer…Mais c’est encore une autre histoire. L’Histoire. Et parler de gâteaux m’a affamée ! Je t’abandonne pour filer dans une pâtisserie…Simone Arese14 septembre 2011

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