vendredi, juillet 20, 2012

(140)*De jeunes filles très drues marchent dans la rue, sans se cogner aux obstacles. Elles ont dans l’allure la décision des aveugles qui comptent leurs pas. Une jeune femme plus forte, moins longiligne, les encourage sans jamais les précéder. C’est leur monitrice, elle-même aveugle. L’une d’elles, habillée comme une adolescente d’un tee-shirt et d’un caleçon gainant ses jambes longues et fermes, touche du pied un arbre, puis l’enlace. Sa guide, toujours à quelques mètres en arrière, lui dit:
« Vas-y ! Frappe-le de toutes tes forces ! Sens sa résistance ! Tu es aussi forte que lui ! »
La jeune fille, avec une violence inouïe, ses deux bras tendus parallèlement à l’horizontale, frappe le jeune arbre en alternant les coups d’un bras, puis de l’autre. La monitrice lui dit, alors que son élève du dos de la main fait le tour du tronc pour en mesurer la circonférence:
« Encercle-le ! Tu l’aimes ! Tu aimes le toucher ! C’est dur, mais ça glisse aussi, mesure sa hauteur ! »
Et la jeune aveugle, toujours avec cette violence interne de qui veut tout absorber, se laisse glisser jusqu’à s’accroupir, toujours le tronc entre ses bras.
D’autres aveugles plus en avant font divers exercices de reconnaissance. Je regarde cela en restant en arrière, que ma présence ne soit pas décelée, me nourrissant du regard de toute l’énergie de ces handicapées.
Elles arrivent au bord de l’eau, il n’y a pas de parapet, aucun accident. C’est en toute conscience qu’elles descendent dans l’eau de la Seine prendre un bain.

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