lundi, mars 03, 2014

un incertain regard

La disparition d'Alain Resnais

Alain Resnais est mort, je me permets d'écrire ici ce petit billet en hommage à l'homme qui, avec son compère Chris Marker, m'a donné envie de devenir cinéaste.
Alain Resnais pendant la mise en scène de ProvidenceAlain Resnais pendant la mise en scène de Providence © dr
Grâce à mon camarade Christophe Ruggia, j'ai pu voir son dernier film, Aimer, boire et chanter, une œuvre incroyablement intelligente et subtile. Une adaptation de la pièce de théâtre Life of Riley d’Alan Ayckbourn qui sort ce mois-ci en salle. Les acteurs y sont particulièrement justes. Ils interprètent un texte qui les fait naviguer selon leur rôle et les péripéties, entre la sincérité, les confidences, le mensonge, les manigances, et la répétition d'une pièce. Alain Resnais nous entraîne à sa suite, lentement tout d'abord, puis complétement, dans une jubilation intellectuelle qui est bien trop rare aujourd'hui. On voit dans ce film, à la fois le plaisir qu'il a à mettre en scène et comment il trouve des solutions au manque de moyens...
Dans ce film on voit bien que tout est possible aujourd'hui et qu'Alain Resnais est adepte du collage, de l'utilisation de toutes les techniques qu'il trouve à sa disposition. Je ne vais pas écrire ici un article de critique de cinéma, ce n'est pas mon rôle. Mais au lendemain de sa disparition, je me souviens qu'Alain Resnais avait fait ses études à l'IDHEC comme monteur, et j'ai choisi de suivre exactement sa trace. Je me souviens que modestement, il s'entourait d'auteurs brillants, Marguerite Duras, Jean Cayrol, Jorge Semprun, Jacques Sternberg. Ce que j'admirais le plus dans son œuvre, quand j'étais étudiant, c'est qu'il était pour moi le prototype de cet honnête homme, réalisant à chaque fois des œuvres maîtrisées, aux formes différentes, mais totalement construite, tout en traitant de sujets politiques, moraux, que si peu travaillait.
Il a fait des films, pas traité des sujets. Pourtant c'est lui le premier qui a réalisé un film sur la destruction des juifs en Europe, à une époque où un silence complet régnait. Je me souviens du choc, de la révélation pour moi à onze ou douze ans quand j'ai vu Nuit et brouillard. Je me souviens de ma joie, en montrant, à un de mes enfants, alors âgé de 10 ans, qui est resté scotché devant Les statues meurent aussi. Alain Resnais a construit une œuvre profondément politique, ancré dans son époque, jouant le rôle même dévolu aux artistes: émouvoir, faire réfléchir, prendre position, ne jamais injurier l'avenir.
Le producteur, Jean-Louis Livi, a fait une petite introduction avant la projection, parlant de lui comme d'un jeune cinéaste préparant déjà le suivant. Tout le monde savait dans la salle qu'Alain Resnais était vraiment malade.
Quand je suis rentré à l'IDHEC, Louis Daquin m'a demandé ce que je voulais faire, et je crois bien lui avoir répondu par bravade: "Je veux faire Alain Resnais". Je crois, modestement, que j'ai bien réussi, à suivre cette voie: je serais toujours, quoiqu'il arrive, en train de préparer le prochain.
Tous les commentaires
02/03/2014, 13:01 | Par alain Gillis
Bonjour POL,
merci d'avoir rédigé si vite.
Je reste pour ma part un attaché névrotique de Muriel. Rarement apprécié, je trouve.
02/03/2014, 18:38 | Par grain de sel en réponse au commentaire de alain Gillis le 02/03/2014 à 13:01
Moi aussi, Alain. Un de mes films préférés. Bon sang ce que j'avais pleuré, la 1re fois.... "Muriel" et "Hiroshima", les films que j'ai vus le plus grand nombre de fois, je crois....
02/03/2014, 13:32 | Par bérangère bonvoisin
Tous les acteurs l'aimaient. ( Je m'étais fait engager comme figurante sur "La vie est un roman, en 1982, pour pouvoir observer sa façon d'être et de travailler, et il nous traitait nous, les figurants, avec beaucoup de respect et d'amicalité). Et je me souviens du choc reçu à " Providence". Merci Pol pour votre billet.
02/03/2014, 13:54 | Par Pipotin
Merci Pol. Je copie le commentaire que j'avais mis ce matin sur un autre billet aujourd'hui avec de menus changements
Il est allé rejoindre Chris Marker avec qui il avait réalisé, en collaboration avec Ghislain Gloquet,  "Les statues meurent aussi". Un grand bonhomme à la palette aussi grande que son coeur.
Et pendant ce temps, comme en écho inversé au documentaire cité plus haut, Tillinac vient sur le "service public" faire la promotion de son dernier livre "Du bonheur d'être réac" (tout un programme) et dit, au cours d'un entretien hallucinant "on ne peut pas être ému par toutes les cultures...". Quelle époque de régression mentale parmi ces gens. Et si loin d'Alain Resnais.
Voir à 2:32:57 là
03/03/2014, 02:40 | Par arrue en réponse au commentaire de Pipotin le 02/03/2014 à 13:54
PIPO,
Pitié ! Pas ce lourdaud limité et fier de l'être (Tillinac) à côté de la finesse intellectuelle et esthétique (avec ses failles) du disparu !
Trouvons-lui, s'il le faut, un réac d'une autre envergure. Ça existe. Hélas ... Cool
02/03/2014, 14:07 | Par pol
Ghislain Cloquet qui fut notre directeur des études... un court moment, à L'IDHEC
02/03/2014, 17:09 | Par Stephanie
Je suis loin d'avoir tout vu de Resnais, et certains films m'ont paru mineurs ou moins réussis que les autres...
Mais je reste marquée par L'Année dernière à Marienbad (de la SF comme on n'en faisait jamais en France à cette époque !), La vie est un roman, Mélo (le titre a bêtement manqué me le faire rater, ne faites pas la même erreur ;-) et l'éblouissant Smoking / No smoking. Parmi les derniers, Les Herbes folles.
02/03/2014, 18:30 | Par Jean-Louis Legalery
Beau billet sur un homme de talent et de conviction.
02/03/2014, 18:33 | Par grain de sel
"Nuit et Brouillard" ce soir sur France 2 en remplacement de James Bond. A ne pas manquer ! Et vivement aussi la rediffusion de "Muriel" et d"'Hiroshima mon amour". Des films que j'ai vus et revus moult fois, avec la même émotion, toujours intacte....
Un grand jeune homme de 91 printemps est parti et nous laisse tous orphelins. RIP, Alain !
03/03/2014, 08:54 | Par alain Gillis en réponse au commentaire de grain de sel le 02/03/2014 à 18:33
Bien sûr, je recommande...
03/03/2014, 12:17 | Par grain de sel en réponse au commentaire de alain Gillis le 03/03/2014 à 08:54
Et bien non, finalement, ils ne l'ont pas passé.... Honte ! Ils l'avaient pourtant annoncé sur Twitter.... Mais j'espère qu'on aura une VRAIE rétrospective, avec N&B, mais aussi M, et plein d'autres.... 
02/03/2014, 18:41 | Par Duduche
A l'heure des montées de violence en Ukraine, rappelons cet excellent film d'Alain Resnais, collaborant avec le professeur Henri Laborit, Mon oncle d'Amérique, dont voici 2 petits extraits:
Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique. 1/2
Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique. 2/2
Si on réfléchissait plus à ce qu'il y dit, il y aurait certainement moins de conflits dans le monde!
02/03/2014, 18:41 | Par DF7511
Merci M. Alain Resnais pour tout ce bonheur fabriqué et que j'ai dégusté comme des pâtisseries subtiles.
Un moment qui colle à ma mémoire et auquel je suis très attaché, Sabine Azema chantant la chanson de France Gall; "Résiste .. Pourvu que tu existes .."
02/03/2014, 18:43 | Par DF7511
Merci M. Alain Resnais pour tout ce bonheur fabriqué et que j'ai dégusté comme des pâtisseries subtiles.
Un moment qui colle à ma mémoire et auquel je suis très attaché, dans "On connaît la chanson", Sabine Azema chantant la chanson de France Gall; "Résiste .. Pourvu que tu existes .."
02/03/2014, 18:44 | Par junon moneta
Scoop !
On l'a retrouvé, il est décédé.
Vous avez dit : "Disparition" ?
Cela ne change rien au talent de cet homme, ni à la qualité de votre billet, mais cette expression me sort des yeux...

02/03/2014, 18:53 | Par Pierre Magne
"Nuit et Brouillard" ce soir sur France 2...
Ma première rencontre avec ce grand cinéaste !
02/03/2014, 19:19 | Par pol
Sur France Culture à 19h14, quelqu'un dit que Truffault disait de lui que c'était un cinéaste de gauche, un autre dit c'était un cinéaste "engagé" - il est dit alors que souvent les films engagés sont ratés - mais qu'il arrivait en même temps à un haut niveau formel...  Et oui pourquoi n'ai-je pas écrit que ce qui me plaisait chez Marker et Resnais c'était qu'ils étaient engagés...
02/03/2014, 19:22 | Par pol
Évidemment un cinéaste disparaît, meurt, mais son œuvre lui survit. Alain Resnais est là pour toujours avec ses films, son esprit, si j'ai mis disparition, c'est probablement à cause de Perec, qui lui aussi fait partie de mes exercices d'admiration.
02/03/2014, 21:04 | Par pol
02/03/2014, 22:13 | Par guy_perbet
Disparu ?
Non, il a juste "tourné le coin", et nous n'avons pas fini d'entendre et de voir tout ce qu'il nous a conté...
03/03/2014, 01:59 | Par seth
Je me rappelle du simplissime, brillant, rude, éblouissant et percutant Nuit et Brouillard, mais aussi des emmerdentissimes L'Année Dernière à Marienbad et Hiroshima Mon Amour (avec la collaboration de la chiantissime Guiguite). Après j'ai arrêté. Moi qui n’était déjà pas fana du ciné, ça m'a complètement vacciné.
Désolé de déplaire au chœur des adorateurs mais si ça a bien commencé, ça n'a pas forcément bien suivi... Quant à la fin, je ne la connais pas.
RIP quand même.
03/03/2014, 02:40 | Par arrue
Il fallait écrire un hommage ici. Vous l'avez fait. Merci.
Nous nous sommes tant aimés ... En pleurs
À un jour près, son ombre tutélaire serait venue "planer" sur des Césars de longue date totalement nuls.
Le siècle va définitivement basculer (culturellement), car, en France, il reste deux "grands". Eux disparus (à Dieu ne plaise), tout un pan de ce qu'est PROFONDÉMENT le cinémaTOGRAPHE (pour le dire comme Bresson) aura aussi disparu !

N-B : Je ne suis pas sûr que "Nuit et brouillard" soit tout à fait le "premier" film sur le sujet. En France, sans doute. À ce qui fut "l'Est", c'est moins sûr. Mais restons-en à la "Nuit" et à la ridicule et ignoble censure de son flic français enlevé du plan ... puis remis

Aucun commentaire: